- GRÈCE ANTIQUE - Les arts de la Grèce
- GRÈCE ANTIQUE - Les arts de la GrèceLe sort de l’art grec à partir de la fin de l’Antiquité est des plus étranges. C’est un art qui n’est connu directement que depuis peu, et dont pourtant on n’a cessé des siècles durant de se recommander, qu’on s’est efforcé d’imiter, qu’on a de confiance admiré. Cette admiration remontait aux temps les plus anciens: il était à peine né que déjà les riches Étrusques faisaient à grand prix venir la vaisselle décorée par les Rhodiens, les Corinthiens ou les Athéniens. Les statues pillées par les Romains dans les villes conquises figuraient à la place d’honneur dans le défilé triomphal des généraux vainqueurs, et, plus tard, les collectionneurs s’arrachèrent les pièces qui venaient d’un pays dont ils pensaient avoir tout à apprendre.Après l’éclipse du Moyen Âge qui cependant ne l’ignora pas autant qu’on le prétend parfois, l’art grec connaît à partir de la Renaissance une faveur nouvelle, mais en fait il vit alors sur sa réputation, aucun des monuments qui font aujourd’hui sa gloire n’étant encore mis au jour. On le découvrit peu à peu et, par une heureuse chance, les œuvres qu’on exhumait se trouvaient correspondre au goût de chaque époque. Ce furent d’abord des œuvres hellénistiques transcrites par des copistes romains, et pendant très longtemps on ne sut les distinguer des originaux; la fin du XVIIIe siècle révèle le classicisme, qu’on n’accepte d’ailleurs pas sans réticence: lorsque les plaques du Parthénon arrivèrent à Londres, elles passèrent aux yeux de certains pour des répliques médiocres et tardives; c’est à la fin du XIXe siècle que l’archaïsme, sans cesse enrichi par de nouvelles trouvailles, est devenu familier à notre civilisation qui se penche avec amour vers toutes les créations de caractère plus ou moins primitif.Malgré bien des lacunes et des incertitudes, on a aujourd’hui sous les yeux le développement complet de l’art grec depuis ses premiers balbutiements à l’aube du Ier millénaire avant J.-C. jusqu’au jour où, vieilli, il sombra dans l’académisme et la médiocrité, avant de se renouveler complètement sous l’influence de l’idéal chrétien et de donner naissance à l’art byzantin.Il nous est dès lors loisible de l’examiner de façon plus objective, de renoncer à certaines idées qu’on avait de lui lorsqu’il était encore mal connu, telles que celle du «miracle grec». On sait maintenant que Phidias n’a pas créé à partir du néant le décor du Parthénon, mais que les chefs-d’œuvre du Ve siècle avaient été préparés par trois ou quatre cents ans d’efforts lents et patients. On sait aussi que l’art grec n’aurait jamais été ce qu’il fut en réalité si ne l’avait précédé celui d’autres civilisations. Depuis le IIIe millénaire au moins, l’Égypte et le Moyen-Orient avaient inventé et perfectionné des moyens d’expression graphiques et plastiques d’une inégalable valeur; entre le XVIIIe et le XIIe siècle, les Crétois, puis ceux que l’on appelle les Mycéniens avaient à leur tour développé un art de très haute qualité. De ce passé lointain, les Grecs ont profité. De plus, même dans les périodes les plus brillantes, leur art s’est tenu en contact avec ceux de l’Asie et de la vallée du Nil, il leur a emprunté des idées, des formules, des ambitions. On peut dire que les artistes grecs n’ont créé que sous le souffle d’inspirations étrangères.Et pourtant, leur art resta profondément original. Il exprime toujours une pensée grecque, un idéal grec; il ne se sert de ses emprunts que pour lancer plus haut son esprit. À l’instar des philosophes grecs, c’est en approfondissant toujours les mêmes thèmes que les artistes eux aussi progressent.L’étude de l’art grec ne se suffit évidemment pas à elle-même, l’art n’est pas indépendant des autres formes de la vie, de la littérature, de la science aussi, dans ce pays où la mathématique et la géométrie sont si fort prisées. L’hellénisme forme un tout: on peut admirer pour son interne beauté telle statue, telle peinture de vase, on ne peut les pénétrer si l’on ignore l’histoire et la civilisation grecques.Pour les Grecs, l’homme est la mesure de toute chose. Rien n’est plus beau que son corps lorsqu’il est développé par l’athlétisme, rien n’est plus adroit que sa main, plus subtil que son esprit. Et si les dieux jouissent de l’immortalité et d’une puissance presque sans bornes, c’est pourtant à l’image de l’homme qu’ils ont été conçus. Est-ce à cause de la pureté de leur ciel, de l’harmonie de leur paysage, les Grecs n’ont ni le sens ni le goût du mystère et du mysticisme. S’ils apprécient la nature, elle ne leur paraît digne d’intérêt, dans leur littérature comme dans leur art, que dans la mesure où elle est peuplée d’êtres humains, domestiquée par eux. La raison partout domine, et les aspects les plus violents du culte de Dionysos, le dieu de l’extase, restent pendant longtemps réprouvés par l’opinion publique. Il faut attendre le IVe siècle et l’établissement de rapports suivis avec le monde asiatique pour que la passion s’introduise dans l’art.Autre trait: le goût de l’universel. «Il n’est de science que du général», disait Aristote, et pendant des siècles les artistes eux aussi ont évité tout ce qui, dans leurs représentations, offrait un caractère trop particulier, disons même trop actuel: deux jeunes gens partent-ils pour la guerre, le peintre inscrit à côté de leur image les noms de Castor et Pollux et la scène quotidienne prend ainsi plus de poids, et les combats entre les Grecs et les légendaires Amazones, sculptés sur les frises des temples, évoquent les batailles récentes que les Athéniens ont livrées aux Perses pendant les guerres médiques.On comprend mieux dès lors pourquoi l’art grec paraît si vivant. Il s’adresse à des hommes, dans ce que leur tempérament comporte de plus foncier, de plus éternel. De nos jours encore, le champion sportif peut se reconnaître dans l’athlète qu’a sculpté Polyclète; de nos jours encore, la lumineuse clarté des figures du Parthénon garde toute sa valeur; de nos jours encore, une coupe peinte au VIe siècle avant notre ère n’a rien perdu de son actualité, parce qu’universel est l’esprit de l’hellénisme.Cependant, nulle œuvre ne peut survivre à tant de siècles si son exécution n’est pas parfaite. Or, les anciens Grecs ont de tout temps attaché le plus grand prix à l’exécution. L’artiste, pour eux, c’est celui qui connaît à fond une technique, et l’on a noté que ce qu’ils appelaient les Sept Merveilles du monde les frappaient moins par leur beauté que par le talent et la science avec lesquels leurs auteurs avaient triomphé de difficultés matérielles à première vue insurmontables.Les artistes grecs ont pratiqué maintes techniques: ils ont su dessiner et peindre, selon des procédés dont certains nous déconcertent, ils ont modelé la terre, fondu le bronze, ciselé l’or et l’argent, ils ont taillé le bois et la pierre et n’ont pas négligé le travail difficile de l’ivoire. Les réussites ne sont pas toujours égales, bien sûr, mais, si l’on ne tient pas compte des productions populaires, le soin apporté à l’exécution est presque toujours remarquable. La plupart des vases peints conservés dans nos musées sont l’œuvre de très modestes artisans et pourtant, sitôt que les tâtonnements de l’archaïsme sont dépassés, la pureté, la sûreté du trait révèlent une science qui, dans d’autres pays, serait le fait de grands maîtres.C’est là chose d’autant plus étonnante que, de tout temps, le nombre des artistes dans la Grèce antique fut considérable. La céramique peinte est un art industriel et les vases de terre, en un temps où le métal était rare, connaissaient un succès inouï, se fabriquaient par milliers; des modeleurs façonnaient par milliers aussi des figurines que l’on dédiait dans des sanctuaires ou que l’on déposait, images de divinités protectrices, dans les tombes; et les ex-voto des particuliers consistaient en statues, en objets de matière précieuse que la piété d’innombrables fidèles commandait à des artistes de tous genres. Mais pendant la plus grande partie de l’histoire grecque, le client principal, c’était l’État, la cité: c’est pour la cité et à ses frais que travaillaient surtout peintres, sculpteurs, architectes de renom, chargés de remercier les dieux par de magnifiques offrandes au nom de toute la communauté civique. Jusqu’au IVe siècle avant notre ère, il n’est pas un monument qui n’ait été élevé, avec son décor, pour le compte d’un État ou, ce qui revient au même, d’un sanctuaire international: temples, portiques, locaux pour les assemblées, théâtres, fontaines monumentales; et ce n’est que plus tard que la commande privée prend une importance notable. Si l’on songe que tout grand édifice exigeait la collaboration de plusieurs corps de métiers, que la sculpture et la peinture faisaient partie intégrante de tout grand bâtiment, on voit quelle place les artistes occupaient dans la société.Place numérique au vrai, car il semble bien que la plupart d’entre eux étaient un peu traités comme de simples ouvriers et qu’ils ne jouissaient que d’une faible considération; les plus grands, cependant, échappaient bien sûr à cette règle et le succès leur assurait une considération qui pouvait porter certains d’entre eux, un Zeuxis par exemple, à des excès dignes de nos vedettes les plus en vue.Cette modestie matérielle correspondait chez la plupart des artistes à une modestie morale. Chacun cherche à faire le mieux possible et désire éclipser ses rivaux, mais en même temps reste fidèle à ses maîtres; ceux mêmes qui apportent à leur art quelque chose de tout à fait nouveau ne sont point révolutionnaires. Ils se recommandent du patron qui les a formés, ils ne souhaitent point rompre avec la tradition mais se surpasser eux-mêmes, et peut-être faut-il attribuer cette modestie au fait que, pour une bonne part, l’art grec était d’intention religieuse, que c’était pour plaire aux dieux qu’on travaillait le mieux possible.1. La naissance de l’art grecIl est aujourd’hui bien établi qu’étaient déjà grecs les peuples qui, dans le courant du IIe millénaire, ont développé sur les bords de l’Égée et bien plus loin encore la civilisation que nous appelons mycénienne. On reconnaît aussi qu’entre cette civilisation et celle proprement hellénique, il n’y a pas eu discontinuité comme certains le pensaient naguère. Cependant, l’apport massif d’un sang nouveau, du fait des invasions venues du Nord, la dissolution progressive d’un régime social et l’éparpillement d’une organisation politique que condamnait à mort son extension même, enfin un effondrement économique dont les causes durent être multiples ont eu sur le mode de vie et sur le goût de telles incidences que, s’il n’est pas possible de comprendre la naissance de l’art grec sans connaître celui qui l’a précédé, du moins est-on contraint de séparer nettement l’étude de chacun d’eux.La période géométriqueDès le début de la longue période qu’on qualifie d’âge obscur et qui s’étend de la fin du XIIe jusque vers le VIIIe siècle, l’art princier auquel on devait, avec tout leur décor, les palais dont on a trouvé les ruines à Mycènes et dans bien d’autres sites s’éteint complètement; plus de tombes luxueuses avec leur somptueux mobilier, avec les parures disposées sur le corps de souverains avides d’or; et sur les vases peints au crépuscule de cette civilisation, la maladresse du dessin, la schématisation des figures montraient déjà que c’en était fini du raffinement des cours brillantes.Avec le monde nouveau qui est en train de naître, la liaison artistique s’établit par les techniques les plus humbles, par la céramique, puisque toute civilisation, si primitive soit-elle, ne peut se passer de récipients, puisque la terre, dont les gisements utilisables sont nombreux en Grèce, est facile à modeler, puisque les ateliers, même de toutes petites villes, gardaient encore le souvenir des magnifiques productions du temps passé. Et, pendant tout cet âge obscur, la céramique est à peu près seule à nous renseigner sur les tendances et les goûts de ce temps.On ne peut parler en effet d’architecture: les roitelets qui règnent alors sur les innombrables cantons de la Grèce sont trop pauvres pour faire édifier des constructions; et les palais dont parle Homère sont ceux de l’époque mycénienne et non pas ce que le poète connaissait par lui-même. De temples, on n’a pas trace, les seuls passages de l’épopée qui en fassent mention, sont tardifs, et ce n’est guère qu’au début du VIIe siècle que l’on trouve les ruines de modestes chapelles où s’abritaient les dieux.La sculpture, qui d’ailleurs avait été fort mal représentée durant la période mycénienne, est elle aussi presque inexistante: on ne peut faire état que de minuscules figurines de terre cuite ou de bronze qui seraient édifiées plus loin.Les vases, au contraire, nous sont parvenus en notable quantité: certains accompagnaient le mort dans la tombe pour répondre aux exigences d’un être dont on pensait qu’il avait les mêmes besoins qu’un vivant, d’autres contenaient le cadavre lui-même ou ses cendres, d’autres enfin étaient placés sur la sépulture et, percés au fond, servaient d’entonnoirs aux libations qu’on versait dans la fosse pour apaiser le défunt.On les fabriquait dans tous les secteurs du monde hellénique, et l’on a pu reconnaître, suivant les régions, des écoles, des ateliers qui se distinguaient les uns des autres par le choix des formes et surtout par la disposition du décor, un décor de couleur noire ou rougeâtre selon l’intensité de la cuisson et qui se détachait sur le fond grisâtre ou beige de la terre.Décor très simple au début, qui se complique par la suite. Restreint d’abord aux parties les plus visibles du récipient – sur la panse au niveau des anses, sur le col –, il occupe peu à peu une place de plus en plus considérable, mais, dans son principe, il reste abstrait et géométrique: d’où le nom de période géométrique donné à cet ensemble des trois ou quatre siècles qui marquent le début de l’âge du fer.Dans une première phase dite protogéométrique et qui couvre le Xe et le IXe siècle, l’extrême pauvreté des motifs choisis par le peintre contribue à donner au vase tout entier une clarté qui déjà révèle un des aspects de l’esprit grec: c’est une bande ondulée qui fait le tour de la panse en sa plus grande largeur, ce sont des suites de cercles ou de demi-cercles alignés entre deux traits, ou bien déjà un méandre au-dessous de l’embouchure. Nulle figure animée sauf, sur trois ou quatre vases vraiment exceptionnels, le croquis d’un cheval, installé d’ailleurs en une place tout à fait secondaire.Les vases de cette période sont construits avec beaucoup plus de rigueur, un sens des proportions, de l’équilibre et de l’aplomb beaucoup plus poussé que ceux des temps mycéniens, mais c’est encore une période de tâtonnement, les potiers cherchent des formes de plus en plus solides, de plus en plus rassurantes pour l’œil.C’est dans la phase proprement géométrique (de la fin du IXe siècle jusque, selon les régions, à la fin du VIIIe ou assez avant dans le VIIe siècle) que ces formes se fixent d’une façon presque définitive. Elles correspondent d’abord, le plus étroitement possible, à l’usage auquel est destiné le vase, et l’on notera avec quelle précision les potiers ont construit le récipient pour qu’il soit le plus commode possible: l’amphore, avec ses deux anses et son couvercle, sert au transport du vin ou de l’huile; déjà l’on en connaît deux types, l’un avec une panse rebondie qui s’incurve doucement au sommet pour aboutir à l’embouchure, l’autre avec une épaule accentuée et un col cylindrique souvent assez développé. L’hydrie, que les femmes portent sur la tête pour aller chercher l’eau à la fontaine, comporte une troisième anse, verticale, qui permet d’incliner le récipient pour le vider. Le cratère sert à mélanger les vins, d’où sa très large ouverture. Les vases à boire sont tantôt un peu trapus, bas sur pied et flanqués de grandes anses, tantôt ils ressemblent aux bols actuels. Les pyxides sont des coffrets aplatis, circulaires, dans lesquels on peut ranger bijoux ou onguents.Les motifs choisis pour décorer ces vases sont extraordinairement peu nombreux: des chevrons, des hachures, des triangles ou des losanges, et surtout des méandres et des croix gammées. D’abord isolés en tableaux en des places bien en vue, ils s’organisent assez vite en registres superposés, chaque registre entièrement occupé par le motif; les mêmes figures peuvent être utilisées sur le même vase dans plusieurs zones, mais l’artiste alors s’est arrangé pour les présenter différemment et changer leurs proportions. Des compositions de ce genre sont souvent remarquables par la façon dont les éléments s’harmonisent, et l’on admire la sûreté du calcul qui a présidé à la répartition des registres, on reste confondu qu’un répertoire si pauvre donne une telle impression de variété, on n’est pas moins étonné devant cette horreur du concret, ce refus de s’inspirer d’éléments fournis par la nature, en un temps où les poèmes homériques célèbrent au contraire la vie sous toutes ses formes.Chose étrange, c’est pour honorer les morts qu’apparaissent d’abord des figures vivantes. Dans la première moitié du VIIIe siècle, à Athènes, des potiers fabriquent pour les plus nobles familles d’énormes vases qui atteignent jusqu’à 1,70 m de haut et qui prenaient place sur les tombes que signalait leur masse imposante. Ce sont des cratères ou des amphores et, en même temps qu’ils signalent la sépulture, ils servent aux libations rituelles. Pour commémorer le souvenir des cérémonies nécessaires à la paix du défunt, l’exposition du corps, son transfert au cimetière sont représentés en un tableau de toutes parts encadré par les motifs abstraits habituels. Autour du mort, sa famille et ses serviteurs se lamentent et s’arrachent les cheveux. Dans une zone secondaire, sous le tableau principal ou bien au revers, on représente les combats dans lesquels il s’est illustré ou la suite de ses soldats. D’emblée la composition apparaît fixée une fois pour toutes, sans tâtonnement, sans essai préalable: ce qui permet de conclure que c’est essentiellement pour des raisons religieuses, pour apaiser des morts très jaloux et très exigeants que la figure humaine a fait son apparition dans l’art grec.Apparition étrange, d’ailleurs, car ces figures sont schématiquement traitées: la tête est un cercle, le torse un triangle dont la base correspond aux épaules, les jambes sont filiformes, le geste des pleureurs dessine un trapèze et ces silhouettes qui se détachent en noir sans le moindre détail sont si simplifiées qu’il est parfois malaisé de distinguer hommes et femmes. On a l’impression que ces tableaux sont des pictogrammes, plus faits pour être lus et interprétés que pour atteindre la sensibilité du spectateur. Les gestes et les attitudes sont vigoureusement indiqués, car eux seuls rendent claire et intelligible la représentation, tout comme, pour qu’on reconnaisse leur qualité, les guerriers sont pourvus d’épées, de boucliers et de casques à aigrettes.Les chevaux attelés aux chars sont eux aussi stylisés au maximum. On chercherait en vain à ces représentations un modèle étranger. Images de cérémonies purement grecques, correspondant à des idées purement grecques, elles n’empruntent aucune forme à l’Orient, elles transposent dans le domaine figuré des motifs utilisés jusque-là dans une intention abstraite.C’est dans le même esprit géométrique que sont, à la même époque mais dans d’autres secteurs de l’hellénisme, traités ces bestiaux, ces chevaux de terre cuite ou de bronze qu’ont exhumés les fouilleurs dans les couches les plus profondes du sanctuaire d’Olympie: les mêmes traits les caractérisent; destinés à remercier ou à exhorter des dieux grecs, ils sont une émanation directe de l’hellénisme tel qu’il existe alors.Cependant, on n’ignore pas, au VIIIe siècle, ce qui s’est fait de l’autre côté de la mer Égée; des statuettes d’ivoire trouvées à Athènes sont de toute évidence imitées de l’Orient, tout comme, en Crète, certains bronzes ciselés ou tels récipients de métal. Sur les vases attiques qui présentent les scènes funéraires décrites plus haut apparaissent en des emplacements secondaires des files d’animaux, des cerfs notamment, qui, disposés les uns derrière les autres dans des attitudes stéréotypées, semblent bien être la transcription de ces décors que les tapisseries et les broderies orientales commençaient à diffuser dans la péninsule balkanique.La période orientalisanteC’est que, dans la seconde partie du VIIIe siècle, la navigation, qui n’avait jamais été interrompue, se développe considérablement, les mers semblent plus sûres que par le passé, moins infestées de pirates, les bateaux sont plus solides; et vers ce moment commence cet énorme mouvement de colonisation qui, à tous points de vue, a joué dans la vie des Grecs un rôle si important. Dès lors s’établit un courant constant entre la mer Égée d’une part, Chypre, les côtes syriennes et le delta du Nil d’autre part. Les marins rapportent dans leurs bagages toutes sortes de petits objets, des vases, des broderies, des statuettes même, dont l’afflux provoque chez les Grecs un étonnement plein d’admiration. Et, pendant tout le VIIe siècle, des motifs étrangers à l’hellénisme, tirés de la flore, des images d’animaux inconnus dans les Balkans ou bien de monstres sont reproduites par les décorateurs. Ce qui a valu à ce siècle le nom de période orientalisante, nom impropre à vrai dire, car si l’influence de l’Est est alors indéniable, bien d’autres traits ne sont pas moins frappants.Aucune période, en effet, ne fut plus féconde, et l’on peut dire qu’à son terme les cadres mêmes de l’art grec étaient bâtis. Toutes les tendances, toutes les aspirations se manifestent d’un peuple qui, dans le feu de la première adolescence, se cherche lui-même et qui, tout en s’ouvrant aux richesses de civilisations qui lui sont étrangères, sait à la fois reconnaître ce qui, dans ces richesses, correspond à son tempérament et tirer de son propre fond des créations originales. Le bouillonnement de cette époque n’est pas restreint au domaine qui nous occupe, et c’est dans une atmosphère très agitée que travaillent les artistes: consolidation du régime de la cité, sursauts des aristocraties menacées par les revendications sociales ou l’établissement de tyrannies, efforts de codification pour donner à l’État l’exercice de la justice, expansion de l’hellénisme à travers la Méditerranée et son annexe la mer Noire, tel est le fond du tableau sur lequel s’inscrivent la multiplication des centres d’art, le développement de la production artisanale, le renouvellement des thèmes décoratifs, enfin la naissance des techniques majeures, architecture et plastique.Les arts mineurs se développent beaucoup plus largement que par le passé, de façon peut-être plus modeste, du fait que la clientèle s’accroît: non seulement se fondent de nouvelles cités, mais, dans la plupart d’entre elles, une classe intermédiaire entre le prolétariat et la noblesse prend naissance; elle dispose de certains moyens, car c’est elle qui développe l’activité artisanale et commerciale. C’est elle qui le plus achète des objets plus ou moins précieux, c’est pour elle qu’on fabrique la plupart des vases, et sans doute cherche-t-elle à rivaliser avec l’aristocratie en commandant ces bijoux dont la plupart ont malheureusement disparu, ces riches vêtements dont les peintres de vases ont vêtu leurs personnages et quelques-unes des statuettes ou des coffrets en ivoire dont l’époque était friande.À l’Orient, on n’emprunte pas seulement des matériaux nouveaux; certaines formes de vases inconnues auparavant ont leur origine à Chypre ou plus loin encore, en particulier ces flacons à parfum, aryballes et alabastres, dont le succès est d’autant plus grand qu’en cette époque où se développe le goût du sport les jeunes athlètes y placent l’huile parfumée dont ils se servent pour oindre leur corps. Sur ce genre de vases, les motifs exotiques qui ont été énumérés sont transcrits presque tels quels, et leur étrangeté est un attrait de plus pour des gens que passionnent alors les aventures d’Ulysse et de ses compagnons. Ces animaux, qui, lors même que leur espèce existe, prennent un aspect irréel parce que les peintres n’en ont jamais vu de vivants, n’ont rien de commun avec les chevaux, les bœufs, les cerfs que l’on commençait à représenter dès la fin du VIIIe siècle. Les motifs que l’on éparpille autour d’eux pour meubler les vides ne sont plus géométriques: ce sont des palmettes, des rosettes et autres éléments stylisés d’après la flore. Dans certaines régions, on badigeonne la terre du vase d’un enduit plus fin à la chaude tonalité d’ivoire, et, partout, on multiplie, autour des silhouettes noires dont l’éclat s’est accru, des taches de vives couleurs pourpres, violacées ou blanches. C’est là une réaction très marquée contre l’austérité du style géométrique, une manifestation de gaieté et de fantaisie qu’on peut mettre en liaison avec cette poussée de sève dont de son côté témoigne l’histoire du pays.Réaction plus ou moins vive d’ailleurs selon les régions et le tempérament local. À peine sensible dans des provinces écartées comme la Béotie, elle est violente au contraire près des ports qui jalonnent les routes vers l’Asie. Et si Rhodes se montre particulièrement docile aux influences de l’Est, Athènes ou Corinthe nuancent plus ou moins fortement d’hellénisme ce qu’elles empruntent à l’étranger. Les œnochoés (cruches à vin) à la lourde panse qu’on fabrique dans le Dodécanèse et sur la côte asiatique offrent, semble-t-il, une transcription fidèle des motifs brodés sur les tissus d’Anatolie, longues files d’animaux paissant ou marchant les uns derrière les autres, oiseaux héraldiquement affrontés; la valeur décorative de ces vases est indéniable, le dessin, d’une extrême délicatesse, est avivé par des taches de couleurs harmonieusement réparties – du rouge vif et du blanc se détachant sur le noir du vernis ou le jaune ivoirin de l’engobe –, mais le statisme de ces figures et l’absence de toute action ne vont pas sans quelque monotonie.Les artistes corinthiens, eux, paraissent avoir hésité entre deux directions; les uns se lancent à corps perdu à la suite de ce que l’Orient avait créé de plus étrange en même temps que de plus vivant: une faune inconnue en Grèce, des lions, des panthères, des sphinx ou des sirènes constituent des motifs qui foisonnent sur de petits vases à parfum, au milieu de rosettes ou d’étoiles qui remplissent les vides entre les figures. Mais, vers le milieu du VIIe siècle, le style qu’on appelle protocorinthien magnifique n’hésite pas à donner une place de choix à l’être humain: sur des aryballes de tout petit format, des guerriers enlèvent une femme ou se battent, ce qui n’empêche pas l’artiste, sur les registres secondaires, de tracer d’autres scènes plus banales ou des motifs décoratifs. De dimension moins réduite (25 cm), la célèbre œnochoé Chigi (villa Giulia, Rome) montre en trois frises superposées des chiens poursuivant des lièvres, une chasse au fauve, enfin, attirant d’emblée le regard, un double rang d’hoplites prêts à s’affronter au son de la musique: les figures se détachent en noir, rehaussées de rouge et de blanc, et des incisions marquent les détails. L’action est rendue de façon très vivante en même temps que très décorative.Vers la même époque, les peintres d’Athènes, sur des vases qui, eux, sont généralement de format beaucoup plus considérable, donnent une place plus importante encore à l’action: largement étalés sur la vaste surface de cratères, d’amphores ou d’œnochoés, des princes défilent en cortège solennel, Oreste égorge Égisthe, Ulysse accroché au bélier fuit la caverne de Polyphème. La composition, de caractère dramatique, est monumentale; les figures sont assez grandes pour que l’artiste ait pu donner non seulement à leurs gestes, mais à leurs visages une valeur expressive; souvent même, il exagère les traits de façon involontairement caricaturale.Tout à fait à part doit être mise la Crète, dont les artisans se signalent par une curiosité un peu désordonnée, par des recherches de formes, de techniques, de mise en page et de choix du sujet qui font de la grande île une sorte d’alambic où se préparent des idées que d’autres exploiteront de façon plus systématique.Quel que soit son degré d’originalité, cette céramique est fortement tributaire de l’Orient, et tel était aussi le cas d’autres arts mineurs, comme l’orfèvrerie dont si peu de monuments sont parvenus jusqu’à nous. Beaucoup moins visible, et d’ailleurs beaucoup moins certaine, est l’influence de l’Orient sur les arts dits majeurs.La grande sculpture grecque est née au VIIe siècle. Il n’est même pas sûr, en effet, que les grossières idoles de bois que les Anciens appelaient xoana aient été antérieures à cette époque; il est impossible d’en juger puisqu’on ne les connaît pas directement. Mais des statues de moyenne grandeur ou de taille humaine nous sont parvenues qui sans doute ne diffèrent de ces xoana que par le matériau, pierre tendre ou marbre.Elles ne sont pas le simple agrandissement des figurines de bronze ou de terre cuite de l’époque précédente, et d’ailleurs les problèmes techniques que posait leur construction sont de nature toute différente. Différente aussi leur destination et l’intention dans laquelle elles ont été créées, car en elles s’incarnaient, dans la pensée des Grecs, aussi bien la divinité qu’elles étaient censées représenter que la personne du fidèle qui consacrait son image aux Immortels. Tout comme les tableaux peints sur les amphores funéraires du Dipylon, elles sont d’essence religieuse et cultuelle, et donc échappent par là à l’influence de civilisations étrangères qui n’ont pas les mêmes croyances. Sans doute l’Égypte et l’Orient ont bien connu les statues de culte, mais il s’agit de cultes différents. Il est certain que la connaissance de ces statues étrangères a donné l’impulsion à la première sculpture grecque, qu’elle a même fourni, pour l’attitude des figures, un schéma; les artistes grecs n’ont cependant pas eu, en façonnant l’image d’Apollon ou d’un dédicant, l’impression qu’avaient alors les peintres de vases d’imiter un modèle exotique; Grecs, ils travaillaient pour des Grecs suivant un idéal grec.Deux types ont été créés à cette époque, l’un viril, le couros, l’autre féminin, la corè. Le premier est nu, complètement, et ce à la différence des statues égyptiennes qui ont pu fournir le schéma; l’autre est vêtu. Tous deux sont debout, en une sorte de garde-à-vous, la jambe gauche légèrement avancée, non pas seulement parce que les statues égyptiennes avançaient aussi cette jambe, mais parce que l’on suggérait ainsi qu’il s’agissait d’un être vivant, capable de bouger, et parce que, légèrement écartés, les deux pieds constituaient un point d’appui plus stable que serrés l’un contre l’autre. Les bras, d’abord plaqués au corps de crainte qu’ils ne se cassent, tendent assez vite à se dégager quelque peu, très timidement d’ailleurs. Dès la fin du VIIe siècle, l’habileté de certains artistes est assez grande pour qu’ils donnent à leurs statues des dimensions colossales, pouvant atteindre plusieurs mètres.Il n’est pas invraisemblable que le développement de la statuaire ait eu pour conséquence celui de l’architecture. Pour loger le dieu qui s’incarne en une image de pierre, il faut une maison, et cette maison, c’est le temple. Des maquettes votives donnent l’image de très anciens temples du milieu du VIIe siècle. Ce sont plutôt des chapelles, formées d’une seule pièce allongée dont une des façades s’abrite sous un porche. Sur ces maquettes, les parois portent extérieurement des peintures grossières qui correspondent peut-être à un rudiment de décor. Un peu plus tard, de petits temples ont été construits, dont sont conservées les ruines: à Prinias, en Crète, une étroite pièce rectangulaire dont le plafond était supporté par une colonnade axiale s’embellissait d’un décor en relief au haut des murs et sur le linteau de la porte. Bientôt le temple se développe mais, plus encore que la sculpture, il échappe à toute influence étrangère: comme elle, plus qu’elle, il est fait pour un peuple déterminé qui crée les dieux à sa propre image, et qui veut les loger dans des habitations semblables à celles qu’il possède lui-même: c’est sur le type du mégaron mycénien qui s’est transmis à travers l’âge obscur que le temple est conçu.Certes, temples et statues sont encore bien primitifs: la célèbre Dame d’Auxerre (musée du Louvre, Paris), engoncée dans sa longue robe, figée dans son immobilité, avec son visage trop accentué, son menton en galoche et ses énormes yeux, lorsque son existence fut révélée au XIXe siècle, avait de quoi choquer le goût académique de l’époque. Les petites chapelles crétoises du VIIe siècle n’ont rien de monumental. Et cependant ce sont des œuvres de ce genre qui ont ouvert la voie à la sculpture, à l’architecture de la Grèce classique. Les premiers pas sont faits, décisifs. L’art grec, à la fin du VIIe siècle, est sorti des limbes.2. L’archaïsmeLe VIIe siècle avait été période de recherches, il avait créé des formes qui traduisaient pour l’essentiel la nature même de l’hellénisme. Il restait à classer toutes ces inventions, à perfectionner des moyens d’expression encore rudimentaires, à préciser un idéal, une conception de la vie qui n’étaient encore qu’esquissés. En une centaine d’années à peu près, qui équivalent dans la vie du peuple grec à l’enfance et à l’adolescence, ces résultats furent obtenus.Le VIe siècle, siècle de l’archaïsme, invente peu. Il développe quelques-unes des idées, des techniques, des expressions du siècle précédent, éliminant impitoyablement tout ce que, dans les influences étrangères qu’il avait d’abord acceptées, il ne pouvait assimiler.Comme par le passé, l’art le mieux connu de cette époque est la céramique. À côté des écoles déjà mentionnées, d’autres se développent. Entre les principales d’entre elles surgissent des rivalités d’autant plus violentes que l’art du potier est un art industriel et qu’il existe hors de Grèce, en Italie surtout, une clientèle que chacun cherche à conquérir. Ces rivalités sont fructueuses puisqu’elles incitent les fabricants à s’approcher le plus possible de la perfection. Mais tous ces ateliers, qu’il s’agisse de ceux d’Athènes, de Corinthe, de Sparte ou de ceux qui s’installent dans les îles et sur la côte occidentale d’Asie Mineure, sont bien obligés de se soumettre au goût du public pour lequel ils travaillent et les grands courants sont donc un peu partout les mêmes.Le goût d’autrefois pour les représentations d’animaux, pour les monstres ne subsiste guère plus d’une trentaine d’années après le début du siècle – et c’est à peu près l’époque où s’arrête la production rhodienne. Ailleurs, c’est l’homme qui retient à lui seul l’attention, et les peintres de vases représentent durant plusieurs générations des scènes de la vie courante (banquets, danses rituelles, départs pour la guerre) ou bien des scènes mythologiques (réunions divines, épisodes de légendes, combats contre les Amazones, guerre de Troie, luttes entre Centaures et Lapithes); certains héros comme Héraclès et Thésée tiendront une place importante dans ce répertoire figuré. La technique est celle dite de la figure noire; sur le fond rougeâtre de la terre cuite se détachent des silhouettes noires: les détails (musculature, vêtements) sont rendus par des incisions pratiquées au burin, des rehauts d’un rouge pourpre ou d’un blanc éclatant donnent quelque clarté à ces figures noires et permettent de distinguer chacune d’elles dans les groupes; selon une convention d’origine peut-être égyptienne, les chairs féminines sont blanches. On pense généralement que beaucoup des scènes que l’on voit sur les vases reproduisent avec plus ou moins de fidélité des peintures murales ou des tableaux de chevalet dont on sait qu’ils existaient, mais dont aucun ne nous est parvenu. Cette hypothèse est souvent vraisemblable, mais l’artisan décorateur devait évidemment adapter ces compositions au galbe des amphores, à la courbure des coupes; il le faisait d’ordinaire avec talent, car le sens de l’adaptation était très développé chez les Grecs. Dans cet art industriel, la qualité du dessin est remarquable. D’un bout à l’autre du VIe siècle, on suit l’effort pour triompher des difficultés que présentent le rendu de l’anatomie humaine ou le plissé des amples vêtements qu’étaient le chiton et l’himation.Dès le milieu du VIe siècle à peu près, les ateliers attiques l’emportent nettement sur les autres; ils restent d’ailleurs à peu près seuls à vendre leur marchandise sur les marchés extérieurs. Ils n’ont plus besoin dès lors, comme dans les trente années précédentes, d’employer certaines formules corinthiennes qui avaient séduit les chalands; ils renoncent à la disposition en zones et à la multiplication des thèmes traités; un des derniers exemples de ces procédés est fourni vers 575 par un chef-d’œuvre, le vase François (Museo archeologico, Florence) dont les auteurs, Clitias et Ergotimos, ont, en différents registres, représenté les noces de Thétis et de Pélée, la chasse du sanglier de Calydon, l’arrivée de Thésée à Délos, sans parler d’un combat parodique de grues et de Pygmées et d’autres thèmes secondaires. Désormais, fidèles à l’esprit qui s’était manifesté déjà dans les plus belles créations du VIIe siècle, sinon même dans les majestueuses expositions du mort sur les vases géométriques, les artistes d’Athènes ne traitent sur chaque face d’un vase qu’un seul sujet que, selon les cas, ils encadrent d’un épais badigeon noir ou bien isolent, mais qui, de toute façon, apparaît en pleine valeur. Cette science de la présentation est typique de l’esprit athénien, elle dénote déjà un esprit dramatique.Il n’est pas question d’énumérer les peintres les plus remarquables, Exékias, Amasis, ni leurs émules: le nom de certains d’entre eux est connu, car ils signent volontiers leurs œuvres, à la fois par fierté et pour répandre dans la clientèle le nom de la firme pour laquelle ils travaillent. Il suffit simplement de savoir que deux grands courants coexistent entre 550 et 520 à peu près, l’un héroïque avec des scènes de caractère épique, l’autre au contraire plus familier et tendant à la préciosité.Vers les années 535, un artiste a l’idée de ne plus traiter les figures en silhouettes, mais de les dessiner au trait et de confier au pinceau le rendu des détails que l’on demandait auparavant au burin: clarté, lisibilité, possibilité de reproduire avec une plus précise exactitude les traits du visage, et plus particulièrement le regard, tels étaient les avantages de ce nouveau procédé, dit de la figure rouge, grâce auquel, quelques générations plus tard, les peintres pourront traduire sur le visage les sentiments de l’âme. Cette invention fut fort appréciée et, dans les vingt dernières années du VIe siècle, les artistes ne se comptent pas qui, dans le médaillon d’une coupe ou sur la panse d’un cratère, dessinèrent d’un trait alerte et sûr les formes charmantes d’un éphèbe qui s’exerce à l’athlétisme ou la vigueur d’Héraclès triomphant de quelque monstre. Oltos et Euphronios sont parmi les pionniers de cette nouvelle technique.Pour être plus lents, les progrès de la statuaire ne sont pas moins considérables. Tout comme dans la céramique, les écoles sont nombreuses, plus nombreuses même, et la Béotie par exemple, dont les potiers n’étaient que de médiocre valeur, produit pour son sanctuaire d’Apollon Ptoios bon nombre de ces statues viriles décrites plus haut.C’est en effet le type du couros qui, avec celui de la coré, retient presque uniquement l’attention des sculpteurs: qu’il s’agisse d’une divinité installée dans son temple, d’un fidèle qui consacre sa propre image ou d’un défunt qui veut se survivre et fait placer sa statue sur sa tombe, c’est toujours sous la même apparence que se présente la statue. Car – et c’est là qu’apparaît avec le plus de netteté un des traits marquants de l’art grec – le détail particulier, le trait individuel, l’anecdote, le temporaire sont exclus. Il n’est d’art, comme de science, que du général: ainsi s’efface tout ce qui, dans l’image d’un mortel, serait trop particulier et, comme les dieux sont faits à l’image de l’homme, il n’est guère possible, si quelque inscription ou quelque attribut caractéristique ne vient nous guider, de savoir si l’on a sous les yeux Apollon ou un quelconque athlète, Artémis ou l’une de ses servantes.La répétition constante du même type oblige les sculpteurs à ne point disperser leur effort, à s’appliquer à vaincre peu à peu les difficultés qu’ils rencontrent, à apprendre comment s’insèrent les muscles du genou, comment les côtes ou les plis du ventre, d’abord tracés au burin dans le marbre, doivent peu à peu prendre de la consistance, devenir volumes sur lesquels joue la lumière. S’agit-il de corés, c’est sur le drapé surtout qu’ils exercent leur patience et leur talent. Si bien que, du début à la fin du siècle, la sculpture évolue lentement, de statues figées, maladroites, sans expression, comme le colossal couros du Sounion qui pourtant est une fort belle œuvre, à des figures qui donnent déjà l’impression de la vie, dont les membres esquissent un mouvement, dont le visage s’épanouit en un sourire qui n’a d’ailleurs d’autre but que de montrer que le modèle était doué de pensées et de sentiments.La plupart des statues de ce genre qui subsistent encore sont en marbre, mais bien d’autres étaient sculptées dans une pierre tendre, le pôros , et plus nombreuses encore étaient celles de bronze qui ont presque toutes disparu, fondues par la suite pour des usages pratiques.Il existe d’ailleurs d’autres types que le couros et la coré. Des sculpteurs athéniens ont composé dès avant le milieu du siècle de véritables groupes: le fidèle qui porte sur ses épaules le veau du sacrifice (Moschophore , musée de l’Acropole, Athènes), et, plus remarquable encore, le cavalier vainqueur qui fait corps avec sa monture et qui, pour répondre aux acclamations, tourne la tête vers le public (Cavalier Payne-Rampin , musée du Louvre, Paris, et musée de l’Acropole, Athènes).Comme dans la céramique, plusieurs écoles existent concurremment. La plus féconde est celle d’Athènes, mais les créations du Péloponnèse sont aussi de haute qualité, plus solides, plus énergiques, et, sur la côte d’Asie Mineure et dans les îles voisines, des artistes de grand talent ont produit des chefs-d’œuvre dont le plus célèbre est la Héra de Samos (musée du Louvre, Paris).Plus encore que dans la ronde-bosse, les différences entre ces écoles sont sensibles dans le relief monumental. Celui-ci a pris au cours du siècle d’autant plus d’importance que l’architecture, avec le développement du temple, s’est lancée dans des voies nouvelles.Les humbles chapelles décrites plus haut s’amplifient à la mesure d’États dont les citoyens conquièrent chaque jour une place plus importante et dont s’accroissent les ressources. Pendant longtemps, les constructeurs s’étaient contentés d’élever sur un soubassement de pierredes murs de brique et les colonnes qui supportaient le plafond étaient en bois. Ce n’est pas sans crainte que, vers le début du VIe siècle, ils commencèrent à remplacer ces matériaux légers par le marbre ou la pierre, et ce au moment même où l’agrandissement de l’édifice imposait aux supports une charge plus lourde. À l’intérieur de l’édifice, ce sont maintenant deux rangs de colonnes qui, divisant la pièce en trois nefs, supportent le plafond. À l’extérieur, le petit porche de la façade d’entrée (pronaos ) est répété sur la façade postérieure, bien qu’en règle générale le mur de ce petit côté reste plein (opisthodomos ). Assez vite, pour donner à l’ensemble un caractère plus majestueux, le bâtiment, surélevé sur un socle de trois ou quatre marches, est entouré de toutes parts d’un portique: et c’est alors que commencent à se fixer les ordres, c’est-à-dire le rapport entre la colonne et l’entablement qu’elle supporte.Les deux grands ordres grecs qui, dès l’origine, existent concurremment sont le dorique et l’ionique. Le premier est caractérisé par une colonne assez épaisse, striée de vingt cannelures verticales, reposant directement sur une plate-bande continue (stylobate) et supportant un chapiteau très simple formé d’une échine que domine un tailloir carré. Celui-ci supporte à son tour une poutre pétrifiée, l’architrave, elle-même surmontée d’une frise formée de l’alternance de triglyphes et de métopes. Le triglyphe est un bloc sur lequel se détachent en relief trois baguettes verticales; la métope est le panneau de remplissage entre deux triglyphes. Au-dessus de la frise est la corniche, et l’ensemble de ces trois éléments constitue l’entablement qui sert de point d’appui à la charpente d’un toit à double versant.Dans l’ordre ionique, la colonne, plus grêle et striée de vingt-quatre cannelures, repose sur une base formée d’une pile de disques et aboutit à un chapiteau qui s’étale en volutes. L’architrave est faite de deux ou trois plates-bandes qui se surplombent en légère saillie; elle est surmontée d’un bandeau continu qui tient lieu de frise.Le décor occupe dans l’un et l’autre ordre une place importante. Il est réparti dans le fronton, c’est-à-dire l’espace triangulaire formé par les deux versants du toit au-dessus de la façade, et dans les frises. Si la frise est dorique, ce sont les métopes qui le reçoivent, dans leur cadre étroit qui limite nécessairement l’ampleur de l’image. La frise ionique tolère au contraire, si même elle ne l’exige, l’allongement sur toute la surface du bandeau d’une scène dont la composition dès lors risque de manquer de rigueur. Et c’est là l’une des différences essentielles entre le dorisme, laconique et précis, et le bavardage charmant mais un peu lent de l’ionisme.Dans ces espaces, parfois restés nus, le décor peut être peint, mais il est le plus souvent sculpté en bas-relief. Et, n’étant pas tenus comme dans la ronde-bosse par le souci de l’aplomb ni de la solidité des figures, les artistes ont pu donner à leurs œuvres un mouvement plus libre. Il n’est donc pas étonnant que les particularités des écoles apparaissent plus nettement dans ces reliefs que dans les statues isolées. Les documents d’ailleurs ne manquent pas et voici quelques exemples types. Vers les années 575, à Corfou, colonie corinthienne donc dorienne, on élève, en l’honneur d’Artémis, un grand temple. Au fronton, une représentation composite comporte en plein centre une énorme Gorgone, figure magique qui doit protéger l’édifice. Elle est accompagnée de ses rejetons: Pégase, le cheval ailé, et l’horrible Chrysaor; elle est flanquée de deux panthères, monstres eux aussi protecteurs, et, dans les angles, tassés, écrasés, Zeus foudroyant un géant d’une part, d’autre part deux personnages d’identification difficile, mais qui, pas plus que Zeus, n’ont rien à voir avec la figuration centrale. L’impression d’ensemble est majestueuse, énergique, les figures se détachent nettement sur le fond et l’on est frappé par la sobre vigueur de l’ensemble.Peu avant le milieu du siècle, à Delphes, les habitants de Sicyone, Doriens eux aussi, font construire un Trésor, petit édifice où se groupent les offrandes de leur cité. On en connaît les métopes, longues plaques rectangulaires qui traitent de thèmes variés et sans rapport entre eux. L’une des mieux venues (musée de Delphes), montre, revenant d’une razzia, Castor et Pollux avec les bœufs qu’ils ramènent chez eux: composition très stricte, vigueur des personnages, allure militaire de l’ensemble; les exigences de l’ordre dorique n’ont pas laissé à l’auteur la possibilité de traiter sur une seule plaque la chasse de Calydon, et les triglyphes séparaient d’un côté les chasseurs, de l’autre, isolé, occupant à lui seul une métope, un énorme sanglier. Ici encore dominent la force sauvage et l’impétuosité de la bête.Un Trésor, élevé par les habitants de Siphnos vers 525, témoigne, à Delphes encore, de l’ionisme. La frise est continue, chaque côté de l’édifice étant consacré à un épisode: l’un des plus vivants montre les Olympiens décidant du sort de Troie, assis les uns à côté des autres, bavardant, gesticulant, tandis que, devant eux, les Grecs et leurs ennemis se battent furieusement. L’artiste a recherché le détail pittoresque, la vivacité; et la composition, sans être le moins du monde aussi stricte que dans l’art dorien, est d’une savante habileté.À travers tout l’art du VIe siècle, on sent une intense curiosité, un effort continu pour donner vie au schéma légué par la période précédente, une certaine confusion aussi. Dès les dernières années de ce siècle, un effort de classification intervient qui coïncide d’ailleurs avec l’effacement, dû en partie à des raisons politiques et sociales, de plusieurs cités qui avaient été, depuis l’origine, des centres de création. L’archaïsme n’a pas encore fait place au classicisme, mais déjà se modifie l’état des esprits; le climat de la création artistique change vers 510, au moment où s’établit à Athènes la démocratie, où commencent à s’accumuler les nuages annonciateurs de la grande tourmente que furent les guerres médiques.3. La fin de l’archaïsmeCes transformations politiques et sociales surviennent au moment où les artistes ont triomphé de la plupart des difficultés techniques et, pendant une trentaine d’années, leurs œuvres gardent tout juste ce frais parfum de jeunesse qui fait dans tous les pays le charme des créations antérieures au classicisme. La pensée se fait plus sérieuse, plus profonde.On le voit bien si l’on examine les œuvres monumentales, les temples qui se construisent alors et les ensembles dont on les décore. Déjà celui d’Apollon à Delphes, construit vers les années 520, offre à son fronton non plus un épisode mythologique quelconque, mais l’apparition en gloire, l’épiphanie de la divinité. De même, dans les centres de Sicile où déjà depuis une ou deux générations l’architecture avait produit des édifices de grande qualité, le décor des métopes, à Sélinonte en particulier, témoigne d’une évolution vers la majestueuse gravité. Mais ce n’est pas seulement dans les grands édifices que se révèle cette tendance: à Delphes, les sculpteurs chargés de décorer, peu après 490, le petit Trésor consacré par les Athéniens, s’appliquent à déceler la structure du corps humain; les peintres de vases agissent de même et l’on s’est demandé, tant sont fouillés les détails de l’anatomie, si ce n’était pas sur l’écorché que ces artistes avaient acquis leur science. Dans aucun domaine, on ne se limite plus au superficiel.Aussi n’est-il pas étonnant que changent l’attitude et l’expression des figures: celles-ci s’animent et s’assouplissent, les mouvements se coordonnent davantage, et sur les visages une expression un peu sévère, un peu triste se substitue au sourire de commande des temps passés: ainsi la célèbre Boudeuse et son frère l’Éphèbe blond. Le dernier monument sur lequel apparaît ce sourire, c’est le temple d’Égine, dont les deux frontons séparés par plusieurs années d’intervalle représentent l’un et l’autre des combats de Grecs contre les Troyens. Au centre, Athéna debout, en armes, très figée encore sur le fronton le plus ancien, participe davantage à l’action sur l’autre. Dans les deux ailes, groupés par deux ou par trois, des guerriers s’affrontent, s’inclinant selon la ligne du tympan qui limite en haut la scène; au bout, dans chaque angle, se trouve un gisant. Ces deux frontons ne présentent d’autre unité que la communauté d’un combat, chacun des participants étant traité pour lui-même. Mais, débarrassées des indiscrètes restaurations du XIXe siècle, ces figures apparaissent singulièrement solides, bien construites, animées d’une sorte de feu intérieur.Ce feu, cette animation sont plus intenses dans les peintures de vases, toutes d’origine attique, dont on possède un grand nombre. Nulle période ne fut si riche en décorateurs: Douris est un des seuls connu par son nom, mais ses émules anonymes – le peintre de Brygos, le peintre de Berlin, le peintre de Kléophrades (Épictétos) – ont comme lui, sur des coupes ou sur des vases d’autres formes, traité les sujets les plus variés: Éos portant le cadavre de son fils, la prise de Troie, des exercices athlétiques, des banquets. Tous sont des dessinateurs émérites, tous ont une science extraordinaire de la mise en page et de la composition. Ont-ils observé directement la nature, ont-ils reproduit des tableaux? Il paraît bien difficile de le dire: des peintures exhumées en 1968-1969 à Paestum présentent des analogies très frappantes, notamment dans le rendu de l’anatomie, avec les œuvres ci-dessus mentionnées; mais notre connaissance du grand art est trop lacunaire pour que l’on puisse sans témérité dire dans quelle mesure les décorateurs de vases se sont inspirés de lui; tout au plus peut-on présumer que technique et style étaient à peu près les mêmes. Ce qui est incontestable, c’est le talent avec lequel sont trouvés le geste exact, le détail précis qui donnent aux œuvres une vie extraordinaire. Chose étrange, c’est pendant les dures années des guerres médiques et très peu après que ces ateliers de céramique connurent la plus brillante activité.4. Le préclassicismeActivité qui, à Athènes, se ralentit un peu pendant une ou deux décennies dans les autres techniques. De 480 jusque vers 450, c’est dans le reste du monde hellénique que se développent surtout architecture et sculpture: en Sicile où se construit le plus beau des temples de Sélinonte, en Italie méridionale d’où proviennent sans doute d’aussi magnifiques statues que l’Aurige (musée de Delphes) et ce relief connu sous le nom de Trône Ludovisi (musée des Thermes, Rome), dans le Péloponnèse enfin où s’édifie, de 470 à 456, le temple d’Olympie consacré à Zeus. L’architecture sicilienne semble caractérisée par un certain goût du faste, par l’ampleur de ses proportions, par une certaine tendance aussi à mêler dans le même édifice éléments ioniques et doriques. Le temple d’Olympie, lui, est entièrement dorique et, malgré l’éclat de sa parure sculptée, probablement plus sobre. Ses deux frontons sont traités, comme d’ailleurs déjà ceux d’Égine et de Delphes, en ronde bosse, mais l’impression est toute différente: ce sont les premiers ensembles d’où se dégage une réelle impression d’unité. Le fronton est semble statique: sous la présidence de Zeus se prépare la course de chars qui fera triompher Pélops, le fondateur du Péloponnèse, et mourir son beau-père, coupable d’impiété. À l’ouest, de part et d’autre d’Apollon, Centaures et Lapithes sont engagés dans une lutte féroce. Dans chacun de ces frontons, chaque figure est liée par les gestes, par l’attitude, non seulement à ses voisines, mais à toutes les autres et toutes participent spirituellement à l’action générale. Les sculpteurs inconnus auxquels sont dues ces œuvres obéissaient déjà à un idéal classique en ce sens qu’ils subordonnaient le détail à l’ensemble et qu’ils savaient sacrifier ce qui ne leur paraissait pas essentiel. Mais aucune sclérose, aucun académisme encore ne les menaçait. Une vie intense parcourt toutes les figures, même les plus statiques et la Centauromachie de l’ouest, parce que déjà la lutte est engagée, paraît peut-être moins émouvante que la scène, imprégnée d’anxieuse attente, qui dominait la façade principale. L’artiste a su caractériser chacune des figures et l’on sent sous la chair un sang vigoureux qui circule.La même impression presque tactile se dégage de l’Aurige , un des rares grands bronzes qui soient parvenus jusqu’à nous. C’est la figure d’un cocher (tel est le sens du mot aurige), qui, vainqueur dans une course, se tient debout, modestement enveloppé dans une longue robe serrée à la taille et qui, les rênes entre les doigts, tourne la tête vers le public qui acclame son attelage et le tyran propriétaire de l’écurie. L’homme est tout jeune encore, il semble presque gêné de s’exposer ainsi et une grâce charmante atténue sa pose un peu raide. Quant au Trône Ludovisi , c’est un ensemble de trois bas-reliefs, le plus grand, au centre, représentant, vêtue d’une très fine tunique, une jeune femme que deux servantes aident à émerger de l’onde; on ne voit que son buste, le geste de ses bras à demi tendus vers le haut, la tête rejetée en arrière et qui semble aspirer vers une vie nouvelle: est-ce Aphrodite qui naît des flots, est-ce Héra qu’un bain rituel rajeunissait chaque année? Le caractère mystérieux de la représentation ajoute encore à la pure impression de fraîcheur, au charme de cette apparition.Brève période d’adolescence: c’en est fini des naïvetés de l’archaïsme, mais on est loin encore de la menace des poncifs. Des virtualités nouvelles, d’ailleurs, apparaissent, qu’on aurait pu discerner déjà dans la période précédente en examinant le décor des vases.Dès la fin du VIe siècle, en effet, les peintres, dont le pinceau était libre et ne se souciait pas de la stabilité des figures qu’il traçait, s’étaient plu à représenter des personnages en plein mouvement, sautant, dansant, courant, se livrant parfois à de véritables acrobaties. Les sculpteurs ne pouvaient pas alors les suivre sur cette voie, retenus qu’ils étaient par la difficulté de faire tenir en équilibre leurs statues. Le bronze cependant, matière plus ductile, se prêtait mieux que la pierre à des essais de ce genre et, après des artisans qui, sur une moindre échelle, suivirent la trace des peintres en façonnant des statuettes de terre ou de métal, vers 470, quelques sculpteurs représentèrent, en instantané, des attitudes d’une hardiesse étonnante: c’est alors que se forme Myron (cf. infra ).Ce n’est plus dans la même direction que dans le deuxième quart du siècle s’oriente la peinture: elle semble renoncer à ces recherches d’instabilité qu’elle estime sans doute épuisées. Le problème, pour elle, est désormais le rendu de l’espace et de la profondeur. C’est alors, en effet, que commence à s’exercer l’activité d’un peintre que toute l’Antiquité ne cessa jamais d’admirer, Polygnote de Thasos: au lieu, comme on le faisait jusque-là, d’aligner sur un trait qui figurait le sol tous les personnages d’une même scène, il eut l’idée de les répartir sur différents plans, à différents niveaux, comme sur le flanc d’une colline; de son pinceau, il traçait au-dessous de chacun d’eux une ondulation qui simulait des accidents de terrain. On lui faisait mérite aussi d’avoir donné aux visages de ses héros une expression correspondant à un état d’âme: lèvres tordues en un rictus de douleur, mouvement de la pupille suggérant la colère ou l’effroi. Ces innovations connurent un rapide succès qu’atteste leur adoption par les décorateurs de vases.5. Le classicismeOn a l’impression que jusqu’à cette époque aucune doctrine artistique ne s’était imposée; que des modes, bien sûr, avaient parfois prévalu, mais que jamais, si éminente que fût sa personnalité, aucun maître n’avait dominé ses contemporains. C’est au contraire une sorte d’hégémonie que, pendant une vingtaine d’années, va exercer Phidias. Athénien de naissance, homme de confiance de Périclès, il exerce sur toutes les formes d’art athénien une manière d’empire, et comme Athènes à ce moment est le centre vers lequel se tourne tout le monde hellénique, il marque de son empreinte les créations les plus diverses.Sans doute existe-t-il d’autres tendances. Le sculpteur Myron est l’auteur de statues ou de groupes en bronze fort admirés: le Discobole est son œuvre la plus célèbre et l’image de cet athlète penché en avant, reposant sur la pointe des pieds, le bras droit jeté en arrière, la tête tournée, donne une impression d’instabilité, de mouvement qui paraît à l’image même de la vie; en fait, l’attitude est irréelle, recomposée intellectuellement, mais elle donne une parfaite illusion et c’est incontestablement une des créations les plus belles du Ve siècle. Cependant, le principe même de cette représentation paraît déjà vieux à cette époque, et ce n’est pas dans ce sens que Phidias oriente son école.Il s’agit bien en effet d’une école. Chargé de faire de l’Acropole le plus bel ensemble de la Grèce entière, il fait construire le Parthénon par Ictinos. Tout en se pliant à des conditions locales particulières, en coupant par un mur la grande pièce intérieure qui constituait l’essentiel de l’édifice (c’était là une anomalie qui se rencontrait aussi de l’autre côté de l’Adriatique), Ictinos a donné là le plus parfait, le plus typique exemple de l’architecture grecque. L’édifice, construit de 448 à 432, se dresse sur la partie sud de l’Acropole, le sanctuaire le plus vénéré de l’Attique. Il n’est pas très vaste (69,50 憐 30,85 m), mais les proportions sont parfaites. Tout entier de marbre pentélique, il présentait huit colonnes en façade et dix-sept sur les côtés: elles s’inclinaient légèrement vers l’extérieur et leur diamètre s’enflait à mi-hauteur; celles placées aux angles étaient un peu plus épaisses que les autres; ainsi se trouvait compensée l’illusion d’optique qui, dans le jeu de la lumière, aurait fait paraître amincis en leur centre des fûts exactement cylindriques et trop grêles les derniers supports de chaque rangée. Les deux frontons, la frise dorique étaient naturellement décorés, mais, contrairement à toutes les habitudes, une frise ionique continue cernait aussi en son sommet, sous le portique, le mur de la pièce sacrée. Les scènes choisies présentaient toutes un caractère religieux en rapport avec Athènes, son histoire ou sa légende: aux frontons, la naissance miraculeuse d’Athéna et sa dispute avec Poséidon pour la possession de l’Attique; sur la frise dorique, le combat des dieux et des géants – et Athéna est en bonne place –, la victoire des Grecs sur les Amazones dont l’élan avait, selon la tradition, été brisé précisément au pied de l’Acropole, la naissance d’Érichthonios, fondateur de la cité, la prise de Troie et la centauromachie; sur la frise ionique, enfin – et c’était peut-être là le sujet qui tenait le plus à cœur à Périclès et à Phidias –, la représentation stylisée de la procession qui, tous les quatre ans, réunissait l’ensemble des citoyens pour fêter Athéna. Phidias avait sans doute établi le projet exact de ce décor, peut-être mit-il lui-même la main à l’ouvrage, mais de nombreux sculpteurs se partagèrent l’exécution du programme.Le maître lui-même, en effet, était alors occupé à construire, à ciseler la statue de la déesse qui devait prendre place dans le temple. D’or et d’ivoire, dressée sur un socle lui-même décoré d’un relief, elle mesurait près d’une douzaine de mètres. Les statues, les pierres gravées qui se sont plus tard inspirées d’elle ne permettent pas bien sûr de ressentir l’extraordinaire impression de sereine majesté qu’éprouvaient les Anciens. Elle respirait l’assurance tranquille de la divinité forte de la confiance de son peuple et, seul peut-être, le Zeus que, plus tard, Phidias exécuta dans la même technique pour le temple d’Olympie pouvait rivaliser avec elle.Pour imaginer l’art de Phidias, on ne peut se référer qu’aux reliefs et aux statues qui, exécutés sous ses yeux, ont survécu; on est alors frappé par la vigueur de l’inspiration, la solidité de la construction, le sens du mouvement et la santé que respirent ces marbres mutilés; telle tête isolée de jeune homme est l’image de l’intelligence et de la noblesse; en la regardant, on saisit ce qu’était l’idéal athénien au temps de Périclès.Nul académisme encore: Phidias n’était point l’homme d’un seul genre, d’une seule technique, d’une seule idée. C’est lui qui, au temps même où s’édifiait le Parthénon, examinait sans doute les projets somptueux des Propylées, entrée monumentale de l’Acropole que devaient flanquer d’énormes portiques; c’est aussi lui, peut-on croire, qui discutait avec un architecte inconnu le plan de l’Érechtéion, petit bâtiment fort compliqué intérieurement qui faisait face au Parthénon sur le nord du plateau et contrastait avec lui par son élégance et certains raffinements un peu précieux en complète opposition avec la sobriété du grand temple.Hors d’Athènes, les élèves, les collaborateurs de Phidias, nourris de son idéal, devaient répéter ce qu’ils avaient appris auprès du maître et les moins bons d’entre eux tombaient déjà dans l’académisme. Risquaient d’y sombrer certains peintres de vases qui s’inspiraient trop fidèlement de modèles parthénoniens. Mais d’autres tendances existaient, et vivait alors un très grand sculpteur, non pas athénien, mais argien de tradition dorienne, Polyclète. Il était aussi limité dans ses intentions et ses principes artistiques que Phidias était large d’esprit. Sa production fut peu considérable, et, pour illustrer, dirait-on, des théories mathématiques qu’il avait conçues sur les proportions du corps humain, c’est presque toujours le même motif qu’il reproduisit dans ses statues de bronze: l’athlète debout, s’arrêtant dans sa marche et installé dans une attitude qui met en valeur la structure et le rapport des différentes parties de son corps. Dans son Doryphore et son Diadumène , qui lui valurent la célébrité, on peut voir la descendance des traditionnels couroi , mais les athlètes polyclétéens se distinguent de ces lointains ancêtres non seulement par la perfection de leur anatomie, mais aussi par une souplesse d’autant plus étonnante que leur auteur est parti de formules mathématiques pour les construire.À peine Phidias était-il disparu que des tendances qui, sous son règne, n’avaient pu s’exprimer se firent jour. Périclès mourut peu de temps après le départ de son protégé, et il se produisit une réaction générale contre l’idéal et les principes qui dominaient depuis une trentaine d’années. La guerre du Péloponnèse, avec ses incertitudes et ses malheurs, crée un malaise général; la démagogie succède à l’ordre et le sens civique qui avait fait jusqu’alors la force d’Athènes s’affaiblit; de jeunes ambitieux comme Alcibiade se placent au-dessus des lois et chacun tend à sacrifier l’intérêt du pays au sien propre. Déjà durant les années mêmes où s’édifiait l’ensemble de l’Acropole, certains signes avant-coureurs annonçaient cette transformation, et c’est dans l’art populaire qu’ils se manifestent le plus clairement.En effet, à côté d’une production fortement influencée par l’art officiel, les potiers développent un genre nouveau, à l’intention surtout d’un public dont ils ne s’étaient guère occupés jusque-là, la clientèle féminine. Le nombre des coupes dont usaient les hommes dans les banquets diminue brusquement pour faire place à la fabrication de flacons, de coffrets destinés au gynécée. Les sujets peints sur ces vases changent nécessairement de caractère, les scènes d’athlétisme et de guerre s’effacent devant celles de la vie familiale ou galante. Le Peintre d’Érétrie, entre 430 et 415 à peu près, dessine de charmantes jeunes femmes à leur toilette, des fillettes jouant à la balle, les préparatifs d’un mariage. Toutes les femmes sont jeunes, jolies, vêtues de tissus précieux dont la transparence révèle le charme de leur corps, et les coiffures si simples jadis doivent exiger maintenant de longues séances devant un miroir. Souvent ces élégantes minaudent sous les yeux de quelque beau jeune homme et des Amours volettent autour d’elles: l’érotisme, sous une forme encore discrète, fait son apparition dans l’art grec.En même temps s’atténue la pudeur des sentiments: pendant très longtemps, les Grecs considérèrent qu’une âme bien née ne devait pas laisser paraître sa douleur; sur les stèles de marbre qu’on érige alors sur les tombes, ni le défunt ni son entourage ne se départissent encore d’une impassibilité qui n’est cependant pas de l’indifférence; en revanche, sur les vases à fond blanc (les lécythes) que l’on dépose autour du mort, des scènes d’inspiration funéraire commencent à souligner la tristesse de ce grand départ et, vers la fin du siècle, l’horreur et l’effroi se lisent sur le visage de celui qui s’en va.Comme on pouvait s’y attendre, les arts majeurs ne suivent qu’avec quelque retard le mouvement; mais les maîtres de cette époque, Zeuxis et Parrhasios, se sont plu, à en juger par le titre de leurs tableaux, à représenter des sentiments émouvants ou violents. La sculpture même n’hésite pas à prendre pour thème des épisodes dramatiques comme la mort d’Itys tué par sa mère Procné: à la même époque, Euripide aussi jouait volontiers du pathétique, et l’influence du théâtre sur l’art est alors indéniable.Le théâtre se constitue précisément alors, non seulement sous sa forme littéraire, mais encore architecturalement, et c’est là l’une des créations les plus géniales de l’héllénisme. Trois éléments sans lien matériel entre eux sont groupés dans la parfaite unité exigée par la cérémonie religieuse qu’était une représentation dramatique: un autel marque le centre d’une aire circulaire, l’orchestre, sur laquelle évolue le chœur; tangente à ce cercle, la scène, estrade allongée réservée aux acteurs qui dialoguent parfois avec les choristes; face à cette estrade, enserrant l’orchestre comme une tenaille, le théâtre proprement dit, c’est-à-dire l’endroit d’où l’on regarde, réservé aux spectateurs. Fonctionnel dans son principe, cet ensemble l’est aussi dans le détail, tout étant combiné pour que le public accède facilement à ses places et que rien ne se perde pour lui du spectacle ni de l’audition. Œuvre d’art en lui-même, le théâtre fut aussi, pour les autres formes artistiques, un adjuvant puissant; il inspire peintres et sculpteurs, il donne au public des exigences nouvelles de vraisemblance et de réalisme, et l’exécution des décors suggère les premières recherches de perspective.6. Le second classicismeAvec la chute d’Athènes vaincue par Sparte en 404 se termine la période qui, sous le nom de siècle de Périclès, passe aux yeux de beaucoup pour la plus brillante de l’histoire artistique de la Grèce; et, de fait, ce «siècle» présente, plus nets, plus purs de tout mélange qu’ils ne le furent à nul moment, les caractères les plus typiques et les plus admirables de l’hellénisme. Un métier sûr de lui-même et qui a su vaincre presque toutes les difficultés matérielles s’est mis au service d’un idéal de santé physique et morale, de raison, de noblesse. Le métier reste égal à lui-même dans le siècle qui vient; il frôle, sans y tomber, la virtuosité; ce qui se modifie, c’est l’idéal. Les tendances qui s’amorçaient durant la guerre du Péloponnèse prennent plus de force et la sentimentalité sous toutes ses formes triomphe de la logique. La religion elle-même change de caractère et les dieux les plus aimés, le plus souvent représentés sont, non pas les plus puissants, qu’on redoute, mais ceux dont on attend le salut dans la vie et surtout dans l’au-delà: Athènes, d’ailleurs, n’est plus le centre d’où partent idées et formules, les artistes se tournent vers les pays d’Asie, seuls assez riches pour leur fournir une commande importante.Commande monumentale d’abord: sur la côte anatolienne s’élèvent les édifices les plus importants; à Xanthos, dans le premier quart du siècle, une tombe royale connue sous le nom de monument des Néréides, vers le milieu du siècle, à Halicarnasse, un autre tombeau, plus somptueux encore, le Mausolée, et puis un temple gigantesque, celui d’Éphèse. Les architectes sont grecs, mais ils se plient à certains usages locaux, acceptant de surmonter le Mausolée d’une pyramide, établissant sur un haut soubassement le monument des Néréides, donnant au temple d’Éphèse une ampleur sans pareille et répandant partout en surabondance un décor sculpté. Pour ce décor, ils se sont adressés à des Grecs, à Scopas en particulier, l’un des maîtres du IVe siècle; et ces sculpteurs, eux aussi, ont dû se soumettre à certaines exigences non helléniques de leurs clients, soit dans les thèmes, soit dans l’esprit de la décoration. Ce contact avec l’étranger renforçait certains des traits qui existaient à Athènes même à la fin du Ve siècle; les personnages de Scopas apparaissent tourmentés et dans leur regard se lit la destinée romantique d’êtres luttant contre un destin dont ils savent d’avance qu’ils ne triompheront pas.Scopas était originaire de Paros. Praxitèle, lui, était athénien. De l’esprit asiatique, que les commandes qu’il reçut à Cnide et ailleurs lui firent connaître, il retint surtout le goût de la sensualité. Ses statues sont presque toutes celles de femmes plus ou moins complètement dévoilées dont il se plaisait à rendre les formes pleines et moelleuses. Les proportions sont élancées et, sur un corps très développé, les têtes, surmontées de chignons compliqués, apparaissent minces et fines: la grâce est dans le mouvement, dans les proportions; le visage, d’un profil très pur et très régulier, garde souvent, avec ses yeux petits et perçants, une expression de dureté. Praxitèle n’a pas complètement négligé le sexe fort, mais il l’a efféminé: ses Apollons , ses Amours , son Hermès ne ressemblent guère, dans leur pose alanguie, aux vigoureux athlètes qu’avait sculptés le Ve siècle.Ils ne ressemblent pas non plus à ceux que, renouant avec le passé, Lysippe fondit dans le bronze. Ce sculpteur, qu’Alexandre le Grand estimait entre tous, se considérait comme un disciple lointain de Polyclète; et cependant rien ne ressemble moins aux figures du vieux maître solidement posées sur leurs pieds, arrêtées dans leur mouvement, que celles qu’il exécuta pour des princes thessaliens ou pour la décoration de grands sanctuaires. Elles sont vigoureuses, comme celles de Polyclète, mais leur qualité essentielle est la souplesse et la mobilité. De proportions singulièrement élancées de quelque point qu’on les regarde, elles semblent bouger dans une lumière qui joue sur la saillie des muscles. La tension qui les anime n’est pas seulement physique, mais morale, Myron, dans son Discobole , avait fixé, arrêté l’instantané, Lysippe le saisit sans l’arrêter.Parmi les œuvres de Lysippe, on citait des portraits. C’est là un genre qui, timidement apparu au Ve siècle, a pris désormais, avec l’extension de l’individualisme, droit de cité dans l’art. On reconnaît en eux ce goût du général déjà mentionné: les visages sont personnels, bien sûr, et certainement ressemblants, mais ils sont comme dégagés du présent; les artistes ne voient dans leur modèle que ce qui leur paraît durable, ce qui reste constant à travers les vicissitudes de l’existence; ils les figurent «tels qu’en eux-mêmes enfin l’éternité les change».L’art dominant du IVe siècle fut probablement la peinture, non pas celle, industrielle, dont on va bientôt cesser de décorer les vases, mais celle de maîtres tels qu’Apelle. C’est sous son impulsion et celle de ses émules que cet art cessa d’être un dessin rehaussé de teintes plates, qu’il s’efforça avec succès, peut-on croire, d’exprimer la profondeur et l’étagement des plans; alors, pour la première fois, les ombres servirent à donner l’impression du volume. Si l’on était en droit de juger de la production picturale de cette époque d’après les copies qui en furent faites à l’époque romaine, on dirait qu’avec ses personnages situés dans la nature, au milieu d’arbres et de rochers, sous la lumière du jour changeant, c’est alors qu’est née la peinture moderne.7. La période hellénistiqueRien n’est plus factice, lorsqu’on considère le développement de l’art, que de séparer nettement la période hellénistique de celle qui l’a précédée immédiatement. La mort d’Alexandre en 323 ne change rien aux tendances déjà décrites, et Lysippe comme Apelle ont continué après la disparition de leur protecteur à former des élèves et à produire. Cependant, par la suite, la fondation de grands royaumes et l’établissement en Asie Mineure, en Syrie, en Égypte de gouvernements grecs, la naissance d’une classe de hauts fonctionnaires et de riches hommes d’affaires désireux d’embellir leurs résidences, la multiplication des échanges culturels à travers toute la Méditerranée et jusque loin dans l’intérieur des terres créent un climat nouveau et des conditions qui ont sur les artistes une influence considérable. Certes, Scopas et bien d’autres avaient déjà des contacts avec ce monde barbare, mais leur point d’attache restait la Grèce. La Grèce désormais n’est plus qu’une petite province dépourvue de rôle politique, et Athènes devient peu à peu une ville-musée que l’on visite, où l’on va se retremper aux sources, mais dont le caractère académique ne tente point les esprits les plus novateurs.Alexandrie, presque dès sa fondation, devient le grand centre spirituel et, avec sa population cosmopolite, avec son activité commerciale de grand port, avec les fêtes organisées par les Ptolémées, avec sa Bibliothèque aussi, elle attire tous ceux qui jadis auraient fait voile vers l’Attique. Un peu plus tard, Pergame, dont les souverains veulent rivaliser avec ceux d’Égypte, appelle aussi sculpteurs et architectes pour ériger, en 228, puis vers 180, d’abord un énorme ex-voto pour remercier les dieux des victoires remportées sur les Gaulois et sur les Perses, ensuite le célèbre autel monumental dont le soubassement déploie sur cent douze mètres une frise colossale représentant la lutte des dieux contre les géants. Ailleurs encore, à Antioche, à Rhodes notamment, des écoles se créent dont les archéologues se sont efforcés de déterminer les caractères sans arriver à nulle certitude.Il est particulièrement regrettable que, de l’Alexandrie antique, rien ne subsiste plus: on sait que la ville se parait de magnifiques édifices, on sait aussi qu’elle était construite suivant un plan d’urbanisme qui paraît déjà singulièrement moderne, avec de vastes avenues et des rues tracées au cordeau, bordées d’immeubles à plusieurs étages. Le principe de pareil plan et de la division en secteurs n’était pas nouveau, puisqu’on en fait remonter l’origine à Hippodamos de Milet, contemporain de Périclès, mais jamais encore il n’avait été appliqué à une telle échelle ni de façon si parfaite.Les créations architecturales hors de ces grandes capitales sont réparties dans les provinces, dans certains sanctuaires comme Délos qui furent embellis par la générosité de tel ou tel roi désireux de se concilier le dieu maître du lieu. Alors se multiplient les portiques, sortes d’allées couvertes dont on entoure les places publiques ou qui bordent les grandes voies; rompant avec la simplicité d’autrefois, on double leur profondeur ou leur hauteur en ajoutant des supports intermédiaires qui montrent l’enrichissement des ordres anciens. Depuis la fin du Ve siècle, au dorique et à l’ionique s’était ajouté l’ordre corinthien dont le chapiteau à volutes s’entourait d’une couronne de feuillage; et c’est cet ordre corinthien, plus élégant, plus fouillé, que désormais on préfère.Les théâtres aussi se multiplient. Depuis les plus anciens, créés à la fin du Ve siècle, beaucoup, certes, avaient été construits, notamment l’un des plus beaux, celui d’Épidaure vers 350. Maintenant il n’est plus guère de ville de quelque importance qui n’en fasse édifier un, sur le modèle traditionnel qui n’a été modifié que sous l’influence romaine. Faut-il citer les édifices publics destinés aux assemblées qui se multiplient précisément au moment où ces assemblées perdent presque tout de leur rôle politique? Mieux vaut signaler le développement des maisons privées: toujours fort humbles dans la Grèce archaïque et classique – Alcibiade avait scandalisé ses concitoyens en voulant faire décorer la sienne –, elles deviennent plus confortables et plus vastes lorsque au IVe siècle la vie privée tend à l’emporter sur les obligations civiques. Du jour où hommes d’affaires et courtisans des successeurs d’Alexandre, enrichis de façon plus ou moins honnête, veulent profiter des avantages de la vie, ils se font construire des résidences qui, en Asie Mineure par exemple, prennent facilement très somptueuse allure; pour être plus simples, les plus belles habitations dans les villes revêtent plus d’ampleur qu’autrefois.Dès lors, leurs propriétaires, pour les rendre plus agréables, les décorent; on peut penser que les peintures murales retrouvées à Pompéi ressemblent à celles que l’on admirait dans les salles d’apparat des maisons hellénistiques, et l’énorme masse de sculptures de petit format retrouvées un peu partout se rapporte sans doute à ce goût du décor intérieur. Jusque-là, c’est aux dieux seulement que l’on offrait les statues; maintenant prend naissance la sculpture d’appartement. Elle révèle le goût moyen des particuliers, goût classique, académique, et l’on compte par dizaines les répliques réduites des chefs-d’œuvre du classicisme, de Praxitèle surtout et de ses imitateurs immédiats. Il arrive d’ailleurs que des sculptures de grand format soient, elles aussi, fidèles à la tradition classique; la Vénus de Milo (musée du Louvre, Paris) est un des meilleurs exemplaires de ce qu’appréciait, vers la fin du IIe siècle, la majorité du public.L’originalité de courants qu’on peut considérer comme révolutionnaires n’en apparaît que plus nette. C’est en Asie Mineure et à Rhodes qu’ils ont pris naissance. Le goût du mouvement, l’intérêt pour les sentiments violents et passionnés avaient commencé à s’exprimer dans l’œuvre de Scopas, le plus asiatique des sculpteurs grecs classiques. Les monuments pergaméniens les poussent au paroxysme: le Gaulois vaincu qui tue sa femme avant de se suicider lance vers l’ennemi auquel il ne veut pas obéir un regard de défi; les Perses gisant à terre se tordent dans leur agonie; les géants qui luttent contre les dieux, aidés de monstres oubliés des Grecs depuis des siècles, gesticulent sans modération et hurlent, la bouche grande ouverte; la Victoire de Samothrace , moins romantique, plus sereine, est emportée au-dessus des flots par son vol puissant. Certes, il n’y a point de logique, point de raison dans tous ces déchaînements, bien des figures sont grandiloquentes, mais on retrouve en elles le même désir de grandir l’homme, d’exalter sa puissance, de faire sentir en lui le souffle de la nature.Les œuvres qu’on rattache au courant d’Alexandrie sont d’un tout autre esprit, beaucoup plus terre à terre, et, volontiers, lorsqu’il s’agit d’arts mineurs, elles sont nuancées d’une pointe d’humour, ou bien teintées par la sensualité et l’érotisme qui n’ont fait que se développer depuis Praxitèle.Époque confuse dans son ensemble, où des artistes que ne rebute plus aucune difficulté technique, qui se plaisent à jouer de leur virtuosité sont sensibles à toutes les influences, multiples en ce temps de grands échanges internationaux. Mais le public, dans son ensemble, reste fidèle à l’académisme; la manifestation du pathétique et de la violence le laissait sans doute assez indifférent, ce que confirme l’évolution de l’art lorsque tout le monde hellénique passa sous la domination romaine. Les Grecs, peintres et sculpteurs, continuent à travailler, d’autant plus activement que le peuple vainqueur constitue pour eux une inépuisable clientèle. Mais, si l’on retrouve parfois dans leurs œuvres le souffle pergaménien, le plus souvent on ne rencontre que des pastiches plus ou moins heureux des créations de leur passé.
Encyclopédie Universelle. 2012.